Le Heiva

Heureusement, l’âme de Tahiti ne se résume pas simplement à ce qui a été exposé plus haut. Lorsque l’escale se prolonge bien au-delà de ce qui était initialement prévu, on est très surpris de découvrir que rien ne ressemble à ce à quoi l’on s’attendait en se référant à ce qui nous avait été dit au sujet de cette île.

Pour le navigateur, Tahiti ne devait être que l’endroit du ravitaillement et des formalités. À la suite de quoi, il était bon de lever immédiatement l’ancre pour s’en aller vers d’autres lieux sans doute plus appropriés aux voyageurs de notre espèce.

Et pourtant?

Vers le mois de janvier ou février, si vous avez la curiosité, le soir, lorsque la nuit est tombée, à l’heure où les « popaas » prennent leur repas ou sont avachis devant leur poste de télévision, si vous avez la curiosité donc d’aller vous promener dans certains entrepôts désaffectés, ou sur les parkings déserts des zones industrielles, alors vous risquez d’être complètement ébahis devant ce que peu d’occidentaux peuvent imaginer.

Lorsque j’étais au Brésil, on m’avait raconté toutes les préparations précédant le carnaval, des préparations qui débutaient plus de six mois à l’avance, six mois durant lesquels on répétait les danses, et où l’on préparait les habits d’apparat.

Connaissez-vous le Heiva?

Oui, bien sûr, c’est la plus grande fête de Tahiti, mais elle ne commence qu’au mois de juillet et ne dure que 3 semaines. En plus de cela, elle se déroule dans un espace clos, et il faut payer pour pouvoir y assister.

Erreur.

Le véritable Heiva, pour des milliers de Tahitiens et Tahitiennes, c’est dès les premiers mois de l’année qu’il débute… Et si, comme je le disais un peu plus haut, vous avez la curiosité d’aller vous promener à des heures un peu tardives du côté des endroits les plus déserts de la banlieue de Papeete, ce sont plus que des spectacles auxquels vous aurez la chance d’assister, c’est carrément la démonstration même que ces gens sont attachés à leur culture comme très peu d’autres peuples ne peuvent l’être.

À la lumière parfois piteuse de quelques réverbères, des troupes entières de danseurs et danseuses se démènent presque tous les soirs dans des tamurés et des paotis au rythme effréné des toerés.

Quel bonheur pouvais-je éprouver lorsque je passais d’un entrepôt à un parking, d’un parking à une sombre ruelle en cul de sac, et que je pouvais contempler ce qui représente véritablement l’authenticité des gens de ces îles.

Pour ceux qui ne connaissent pas, il faut quand même expliquer que les danses d’ici n’ont absolument rien à voir avec celles que l’on peut trouver dans le reste du monde. Il se dégage des mouvements du bassin de la femme je ne sais quelle sensualité ne pouvant pas ne pas mettre en émoi même l’homme aux sens les plus érodés.

Durant plus de six mois, des milliers de Tahitiens et Tahitiennes passent donc leurs soirées à danser inlassablement sous la direction d’un capitaine ayant pour mission de les mener à la victoire.

Car l’enjeu est important.

C’est carrément la reconnaissance de leur supériorité en la matière qui leur sera acquise s’ils arrivent à se hisser à la tête du classement, jusqu’à ce que leur titre soit remis en jeu lors du prochain Heiva!

Et moi, je suis là, assis contre un réverbère, littéralement subjugué par ces spectacles dont il me semble que jamais je ne pourrai me lasser, les oreilles pleines du son des toerés, et dans les yeux le déhanchement si voluptueux de ces femmes ruisselant de sueur mais sur le visage desquelles rayonne un perpétuel sourire.

Et bien, aussi incroyable que cela puisse paraître, ce qui me semble être l’une des plus merveilleuses caractéristiques de la culture de cette population, il a fallu que je la découvre par moi-même… Vous pouvez chercher, cela ne figure nulle part ! Personne n’en parle. C’est un peu, non comme un secret, mais comme une chose tellement banale, pour les gens d’ici, qu’il n’y aurait presque aucun intérêt à mettre toute cette préparation en valeur.

Elle est pourtant aussi là, l’âme de Tahiti…

Voici une petite vidéo qui vous donnera quelques idées de ce que je viens de vous dire.

Excusez encore une fois la piètre qualité, mais ma caméra commence à être bien usée. Il est grand temps que je me décide à la changer.