Au cœur de l’Amazonie – De l’Orénoque à l’Amazone

Une année plus tard, nous nous retrouvons au cœur même de la forêt Amazonienne

La femme demande d’où nous venons, et où nous allons, et si nous n’aurions pas un peu de savon pour laver ses vêtements. Claudette s’en va chercher un de ces gros savons bleus comme on n’en trouve qu’au Venezuela et qui sont un peu l’équivalent de notre savon de Marseille. La femme le prend puis demande timidement combien doit-elle. Nous voulons rien, lui répond Claudette, c’est un cadeau. Elle insiste. Je peux payer, dit-elle, si, si …
Cette manifestation de probité dans un endroit si défavorisé n’est pas sans nous émouvoir. Il est parfois de ces étonnants paradoxes dans nature de l’homme. Ils n’ont rien, à part un fusil et quelques cartouches. Ils vivent dans un coin perdu, à cent cinquante kilomètres de leur plus proche voisin, dans un environnement hostile comme rarement il peut l’être ; Les grands froids et les chaleurs extrêmes ne sont riens à côté ces nuages vivants qui vous harcèlent à longueur de journée. Comme tous ces gens isolés qui peuplent les rives de l’Orénoque, leur pitance du dimanche est la même que celle des jours les plus maigres, et pourtant ils vous sourient, ils vous accueillent, vous, dont le bateau est chargé de provisions pour plusieurs mois, et ils veulent vous le payer ce savon que vous leur tendez. C’est bien souvent dans les endroits les plus misérables, que l’on rencontre les âmes les plus pures, les esprits les plus nobles. Ma pauvre Dame, si nous avions su, c’est une caisse de savons que l’on vous aurait apportée !
Nous voilà donc affublés tels des montagnards. Il nous faut malgré tout balayer l’air devant notre visage, nous les respirons ces micros diptères, ils nous piquent les joues, le front, nous en avalons, certain s’infiltrent sous les vêtements. La position est intenable. Nous mimons quelques gestes d’excuse puis descendons nous enfermer à l’intérieur du bateau après avoir pulvérisé une bonne quantité d’insecticide.
Je regarde à travers un hublot. Ils sont là, tous les sept, à contem­pler cette étrange embarcation comme ils n’en ont jamais vue et n’en reverrons sans doute jamais. Qui sont-ils? Indiens? Métis? Quels sont ces gens incroyables, capables de vivre l’invivable, de supporter l’insupportable, de s’installer dans cet endroit infernal et d’y mener une existence familiale avec pour seules ressources celles que la création promulgue généreusement, tels les Adam et Eve d’un Eden dénaturé ? Sont-ils heureux ? Sont-ils malheureux ?
Le sommes-nous nous-mêmes, nous qui vous contons ce récit, vous qui nous lisez confortablement installés dans votre fauteuil moelleux ?

Quien sabe?